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Répondre aux besoins en compétences à l’heure de la transition écologique : représentations et réalités

Pour le Céreq, l’urgence de la transition écologique est susceptible de faire naître de nouveaux besoins en compétences. Ces derniers pourraient alors constituer des opportunités pour des personnes éloignées de l’emploi.

Ce projet du Céreq constitue une réponse à l’appel à projets « La formation des personnes en recherche d’emploi » lancé par la Dares dans le cadre du Plan d’Investissement dans les Compétences (PIC). L’accent mis aujourd’hui au niveau sociétal sur la nécessité, voire l’urgence de la transition écologique est susceptible de faire naître de nouveaux besoins en compétences, via des processus d’écologisation du travail, et ce au-delà du champ déjà bien documenté des seules écoactivités ; ces besoins nouveaux pourraient alors constituer des opportunités pour des personnes éloignées de l’emploi. Dans cette perspective, l'hypothèse initiale est que la transition écologique demande de nouvelles compétences, c’est-à-dire qu’à l’instar d’autres transitions actuelles (numérique, démographique) ou passées (l’automatisation, l’informatisation), elle va produire des changements à plusieurs niveaux, à la fois dans le système d’emploi, dans le système des professions, susceptibles d’hybridations et de recompositions, et dans la réalisation des activités de travail au sein des métiers touchés par ces évolutions.

On entend ici l’écologisation au sens proposé par Marc Mormont (2013) : « La notion d’écologisation désigne les processus par lesquels l’environnement est pris en compte dans les politiques publiques, dans les organisations, voire dans les pratiques professionnelles ». Ces processus sont encore peu étudiés et ils renvoient à une réalité à la fois peu étendue et peu stabilisée dans les entreprises. De fait, « l’écologisation du travail » suscite des « questions vives » (Drouilleau-Gay & Legardez 2020) dans la communauté scientifique comme au cœur des organisations productives. Le choix initial d’une définition large du phénomène étudié laisse ainsi la place à une approche inductive qui vise d’abord à cerner et comprendre comment l’écologisation du travail est pensée et définie par les acteurs en entreprise. Le bénéfice d’une telle approche est de donner toute leur place aux représentations des professionnels rencontrés et donc de faire un pas de côté quant aux définitions statistiques, normatives et dominantes en matière d’écologisation des espaces productifs. L’entrée par « l’écologisation du travail », ainsi entendue, fait émerger un objet complexe, qui dévoile différentes facettes.

  • Un premier axe important qui traverse ce rapport concerne la multiplicité des vocables employés qui apparaissent révélateurs de la diversité des catégories mobilisées pour penser l’intégration des préoccupations environnementales dans les univers de travail. « Développement durable », « écologie systémique », « environnement », « impact carbone », « filières biologiques », « produits naturels », etc. : les termes sont nombreux, ils ne font pas toujours consensus et ils renvoient à des « philosophies » et des conceptions plus ou moins explicites qui orientent les dynamiques en cours dans les univers de travail.
     
  • Une autre dimension fondamentale des processus d’écologisation apparait sous les traits d’une diversification des acteurs impliqués dans les systèmes productifs écologisés ou en voie d’écologisation. Cette diversification dépasse l’univers professionnel stricto sensu avec l’intégration de militants, bénévoles, consommateurs, usagers, qui conduisent à un renouvellement des formes de coopération au travail, ou se traduisent par une nouvelle structuration des rapports de force. Pour atteindre une clientèle, ouvrir des marchés, sensibiliser des professionnels, diffuser leurs modèles « verts », les entreprises n’agissent pas  de façon isolée, elles s’inscrivent dans une diversité de réseaux (institutionnels, universitaires, commerciaux, militants, etc.). Bien que ce rapport privilégie une entrée par l’entreprise, il restitue un jeu d’échelles entre des formes d’organisations très locales et/ou s’insérant dans des systèmes globaux. Différentes parties permettront ainsi de montrer comment les compétences et les métiers qui intègrent des enjeux environnementaux évoluent avec des dynamiques et des contraintes portées par des acteurs au dehors de l’entreprise et/ou du secteur.
     
  • Il n’est donc pas question dans cette recherche d’occulter les effets des conceptions dominantes de l’écologie qui agissent notamment au travers des différentes normes et règlementations en vigueur, plus ou moins coercitives, en fonction des secteurs d’activité et des métiers. Au contraire, dans les pages qui suivent elles apparaitront essentielles dans les dynamiques en cours. Une approche statistique de l’écologisation est également tentée, à partir de données d’enquêtes originales, utilisant des catégories et nomenclatures parfois peu à même de saisir les transformations et leurs diversités.

Au-delà, du constat de l’existence de représentations variées de l’écologisation, l’objectif est de cerner comment les acteurs se situent vis-à-vis de conceptions « fortes » : quelle réception, composition et traduction opèrent-ils dans la pratique ? Comment les processus de traduction induisent des transformations du travail et des compétences associées ? Les trouve-t-on localisées à certains échelons hiérarchiques ? Pénètrent-elles l’ensemble de l’organisation jusqu’aux postes peu qualifiés ? L’écologisation des systèmes productifs est-elle médiatisée par des changements techniques et technologiques ? Suscite-t-elle des controverses au cœur des activités de travail ? Va-t-elle de pair avec une amélioration ou une dégradation des conditions de travail ? S’accompagne-t-elle d’une (re)valorisation des activités ? Ces questions se présentent comme un préalable nécessaire à la construction d’une définition plus fine de l’écologisation du travail, et les réponses qui y seront apportées dans ce rapport font apparaitre des lignes directrices pour penser les modes de formation et de transmission des compétences nécessaires à cette transition écologique des organisations.

In fine, la  recherche du Céreq questionne ce en quoi la transition écologique, en tant que processus de changement, produit des effets sur les parcours, les organisations et le travail dans des activités productives ne relevant pas directement de la protection de l’environnement, sur la base de questionnements antérieurement développés notamment par Arpin et alii. (2015)

Les rapports Valorisation de la Recherche sont des travaux de chercheurs et chercheuses ayant bénéficié d’une contribution financière de la Dares. À ce titre, ils n’engagent que leurs auteurs et autrices, et ne représentent pas la position de la Dares ni celle du ministère du Travail, du Plein emploi et de l’Insertion.