Des utopies conservatrices : Franco,
Pétain et les artisans
CÉDRIC PERRIN
Auteur fonction
Burgos, 1er avril 1939, Franco annonce officiellement à la radio que
la guerre est terminée. Il proclame ainsi la victoire des armées
nationalistes sur les républicains du Front populaire. La disparition
précoce des autres chefs nationalistes lui a permis de s’imposer à la tête
de l’Etat. Désormais, pour les Espagnols, il est le caudillo. Autre guerre,
autre allocution radiophonique, le 17 juin 1940, le maréchal Pétain
annonce que le président de la République l’a chargé de former un
nouveau gouvernement. Le 10 juillet, il reçoit les pleins pouvoirs qui
font de lui le chef de l’Etat français. Depuis, la France de Pétain et
l’Espagne de Franco ont été rangées dans la même catégorie : celle des
régimes autoritaires conservateurs. En matière économique, ce
conservatisme s’exprime par l’adhésion au corporatisme et un rejet de la
révolution industrielle au profit de l’agriculture et de l’artisanat.
L’attention à l’artisanat serait donc un dénominateur commun. Mais,
cette comparaison rencontre quelques difficultés. En effet, la
comparaison est rarement poussée au-delà de cette classification. La
plupart des ouvrages soulignent que Pétain est plus proche de Franco ou
de Salazar que d’Hitler ou Mussolini mais sans aller plus loin. Franco et
Salazar sont des archétypes du régime autoritaire et conservateur, voire
des références convenues. Le détail de leur action reste assez mal connu
en France. Aussi sait-on plus ce qui éloigne Pétain de Hitler et
Mussolini que ce qui le rapproche de Franco. Les politiques artisanales
de Franco et de Pétain sont-elles assimilables ? Au-delà des effets de
propagande, ces deux Etats parviennent-ils à conduire une véritable
politique artisanale ?
La comparaison se heurte aussi à des obstacles documentaires. En
premier lieu, l’historiographie, en accordant une place centrale au
Cédric Perrin
concept de révolution industrielle, s’est préoccupée d’abord des pays les
plus tôt concernés et les marges orientales et méditerranéennes du
continent demeurent moins bien connues. De même, s’est-elle
longtemps focalisée sur la grande entreprise et l’usine délaissant les
petites entreprises et les artisans. En second lieu, l’instabilité chronique
du royaume d’Espagne fait que l’historien manque de statistiques pour
les périodes antérieures aux années 1950. Quant aux très rares sources
françaises sur l’artisanat espagnol, leurs auteurs font preuve d’une
complaisance certaine à l’égard du franquisme1 .
I) Des conceptions rétrogrades
A) Des influences
Au-delà de la parenté des régimes, la question de l’influence des
deux régimes l’un envers l’autre est légitimée par l’estime que se voue
Franco et Pétain2 . Les deux hommes se connaissent personnellement
depuis la guerre du Rif3 . En mai 1940, Pétain est ambassadeur à Madrid,
où il est bien vu car il a contribué à rompre avec la logique de solidarité
républicaine entre le Front Populaire et le Frente Popular4 . En juin
1940, Franco s’est proposé comme intermédiaire entre Hitler et Pétain
et, quand ce dernier demande l’armistice, il passe par l’ambassade
d’Espagne5 . Donc, dès 1940, une proximité existe entre Franco et
Pétain. Dans l’Education, Pétain suit l’exemple de Franco en appelant le
même homme (Jacques Chevalier) aux mêmes responsabilités. Les idées
et les hommes circulent donc entre Madrid et Vichy. Qu’en est-il au
sujet de l’artisanat ?
1
Plasencia écrit que l’organisation de l’artisanat en Espagne défend les droits de
l’homme et les libertés humaines !
2
Franco aurait déconseillé à Pétain de rentrer Paris lors de la débâcle de 1940 pour ne pas
prêter son nom à la défaite d’autres. M. Ferro, Pétain, Paris, Hachette, 1987, p. 7.
3
B. Bennassar, Franco , Paris, Perrin, 2002, p. 53. Le succès de l’opération vaut
d’ailleurs au colonel Franco d’être décoré de la légion d’honneur et de devenir le plus
jeune général d’Europe.
4
M. Ferro, Pétain, op. cit., p. 24.
5
M. Ferro, Pétain, op. cit., p. 51 et 86.
Des utopies conservatrices
L’Espagne en modèle : l’exposition de 1942
En 1942, l’Espagne organise une exposition artisanale internationale
à Barcelone à laquelle la France participe. La propagande française
accorde une couverture particulière à l’événement qui prouve que des
liens se sont tissés entre les deux pays6. En même temps, cette
participation montre à quelle Europe la France appartient puisque celleci y côtoie des délégations de l’Allemagne, de l’Italie et de la
Roumanie7.
Lors de l’inauguration des stands français, le 8 septembre, la France
est représentée par MM. Pietri, son ambassadeur à Madrid, et Hughe,
son attaché commercial, tandis que l’Espagne envoie Demetrio
Carceller, ministre du Commerce, Miguel Mateu, maire de Barcelone et
Llopis-Galofre, président du comité de la foire de Barcelone. Le même
jour, Jacques Mayet, chef de la section économique du service de
l’artisanat, fait une conférence sur « l’artisanat français dans la
Révolution nationale » à l’Institut français de Barcelone. Jean
Bichelonne, ministre de la Production industrielle (dont dépend le
service de l’artisanat), se fait représenter par son épouse. Les
cérémonies officielles se prolongent jusqu’au 10 septembre, avec un
banquet lors duquel les représentants de l’artisanat de la province de
Barcelone sont officiellement invités à Paris.
La conférence de Jacques Mayet illustre l’importance idéologique de
l’artisanat de par et d’autre des Pyrénées ; tout comme ce que la France
décide de montrer à Barcelone. C’est un artisanat très traditionnel, bien
conforme aux idées pétainistes, qui est présenté ici avec des laines
filées, des broderies, des objets en bois et en cuir, des céramiques et
enfin des articles religieux. Deux stands sont consacrés à des
démonstrations de dentellières du Puy et de sculpteurs sur bois de
Bretagne. Très opportunément, ces objets et ces démonstrations sont
également très franquistes. Ils recoupent la liste des métiers
officiellement reconnus comme artisanaux en Espagne. La diplomatie
démontre à point nommé la proximité idéologique de Pétain et Franco.
La revue Métiers de France loue l’organisation franquiste de l’artisanat
tout en soulignant les convergences avec la Révolution nationale en
6 AN,
7
F12 11973, Métiers de France, 14.
En dehors de ces trois pays, seuls la Suisse et le Mandchoukouo sont également
représentés.
Cédric Perrin
évoquant « la réforme artisanale entreprise parallèlement dans les deux
pays ».
Espagne, France et Allemagne
Un décalage apparaît entre l’importance donnée à l’exposition sur le
moment et ses suites. A l’exposition de Paris de 1942, il faut lire
attentivement la liste des exposants pour trouver les Espagnols8 . Le
service de l’artisanat est revenu à un autre horizon : l’Allemagne nazie.
Après Barcelone, l’Espagne n’est plus évoquée alors que de nombreux
articles sont consacrés à l’artisanat allemand et au rôle de l’Allemagne
en Europe. En 1944, l’Allemagne est même évoquée à chaque numéro.
Toutefois, l’Espagne est le seul pays, en dehors de l’Allemagne, auquel
soit consacré un article. L’Espagne a donc bien, néanmoins, une place
particulière. Cette germanophilie française est une divergence. En 1942,
les germanophiles de la Phalange sont écartés du gouvernement au
profit des monarchistes et des catholiques plus critiques vis-à-vis
d’Hitler. L’Espagne est davantage influencée par l’organisation
économique du fascisme comme le montre le choix de l’autarcie ou la
création de l’INI (Institut National Industriel) en 19399.
B) L’artisanat de Franco et de Pétain
Un mythe de l’âge d’or…
Le général Franco comme le maréchal Pétain sont avant tout des
militaires de carrière. L’un et l’autre n’ont qu’une maigre culture
économique en arrivant au pouvoir et ils subissent l’influence des
milieux économiques qui les supportent et qui sont des plus
conservateurs10 . Franco et Pétain vivent sur le mythe d’un âge d’or de
l’artisanat ; un âge d’or qui aurait pris fin avec la révolution industrielle.
Leur pensée est tout imprégnée de l’idée qu’il faut le restaurer. Côté
espagnol, le texte du 27 avril 1939, fondamental à ce sujet, parle de
8
AN F12 11973, Métiers de France, 16.
9
Serrano Suñer lui-même admet cette influence. B. Bennassar, Franco , op. cit., p. 118.
10 A.
Broder, Histoire économique de l’Espagne contemporaine, Paris, Economica, p.
174.
Des utopies conservatrices
rétablir l’artisanat dans son ancienne splendeur11. Dans un message qu’il
adresse aux artisans, Pétain dit que « La France restaurera les antiques
traditions artisanales qui ont fait jadis sa fortune et sa gloire »12 .
Ce mythe s’organise autour de deux composantes : l’agrarisme et le
corporatisme. Chez Franco comme chez Pétain, l’artisanat prend place
dans une idéologie ruralisante. L’artisanat aurait été à son apogée quand
l’économie était agraire. Les deux hommes considèrent que la vocation
de leur pays est fondamentalement rurale et ils accordent une
importance démesurée aux vieux métiers ruraux. Cet agrarisme
rétrograde s’accompagne d’une prévention envers la technologie. La
propagande développe toute une rhétorique sur la noblesse du travail
manuel qui fait des artisans les garants d’une longue tradition de
qualité ; d’où une attention importante aux artisans d’art. L’artisanat de
Franco et de Pétain est un artisanat figé, voire folklorique.
L’autre dominante est le corporatisme. Dans ce passé glorieux,
l’artisanat était organisé en corporations. Là aussi, cela relève du
mythe ; la majorité des métiers médiévaux était libre. Néanmoins, Pétain
et Franco en conclue que cette ancienne organisation doit être restaurée
et qu’il convient de la généraliser à l’ensemble de l’économie. Cet
artisanat mythifié est élevé au rang de modèle économique. Pétain et
Franco se rangent parmi les partisans en Europe d’une troisième voie
économique. Dans son discours du défilé de la victoire, le Caudillo met
dos-à-dos le grand capital juif et le marxisme anti-espagnol13. Dans le
fuero del Trabajo du 9 mars 1938 (l’équivalent de la future charte du
Travail de Vichy), l’artisanat est la « succession vivante d’un passé
corporatif plein de gloire (…) séparé de la concentration capitaliste
autant que du grégarisme marxiste »14. Il s’inscrit clairement dans la
lignée des corporations médiévales. Le passéisme domine.
… en décalage avec la réalité économique
Cet artisanat mythifié est en décalage avec la réalité de l’artisanat qui
a évolué avec les deux révolutions industrielles. Franco et Pétain
minorent l’ampleur des activités artisanales. De surcroît, ils le croient
11
Cf. infra
12 AN,
F12 11973, Métiers de France, octobre 1941.
13
Franco, Discurso del desfile de la victoria, Madrid, 19 mai 1939.
14
Fuero del Trabajo, 9 mars 1938, Titre IV.
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menacé – par l’industrialisation – et en crise ; ce qui n’est pas, non plus,
conforme à la réalité.
Les métiers ruraux et les métiers d’art sont marginaux. Partout en
Europe, l’artisanat est dominé par trois secteurs : le bâtiment,
l’alimentation et la confection15 . En France, ceux-ci rassemblent la
majorité des artisans. Les activités chéries par le régime ne représentent
plus qu’une faible proportion des artisans en 1938. De nouvelles
activités, comme la réparation, prennent leur essor. Au-delà de
variations cycliques, les effectifs se stabilisent autour de 800 000
artisans. L’artisanat français ne connaît alors ni crise, ni déclin.
L’absence de statistiques n’autorise qu’une estimation de la situation
de l’artisanat espagnol. Néanmoins, par rapport au discours franquiste,
deux affirmations peuvent se détacher. Premièrement, les secteurs
majeurs ne sont pas ceux mis en avant par la propagande officielle.
Deuxièmement, on ne peut pas prétendre que l’industrialisation entraîne
une crise de l’artisanat car jusqu’alors la situation économique n’a pas
permis le développement d’un artisanat important. L’économie
espagnole est fortement dominée par les industries alimentaires et
textiles où l’artisanat tient une place prépondérante16 . La meunerie, par
exemple, est dispersée sur tout le territoire en une multitude
d’entreprises « minuscules »17 . La Catalogne, l’un des deux pôles de
l’industrialisation, est caractérisée par une faible concentration qui
répond à l’atomisation durable du marché18 . La production associe PME
et artisans sous la forme, bien connue en Italie et en France, de districts
industriels locaux. Les alentours d’Elda sont spécialisés dans la
production de chaussures, ceux d’Alcoy dans les draps… Les régions les
plus artisanales sont donc aussi les plus industrielles. L’artisanat n’est
pas en opposition avec l’industrie, il se développe dans son sillage19.
Cette réalité est bien éloignée des chimères rétrogrades de Franco et de
son entourage. Toutefois, le développement des industries de
15
M. Laloire, « Problèmes de l’artisanat européen », Revue internationale du Travail, 72,
1955.
16
J. Nadal, A. Carreras, C. Sudrià (dir.), La economía española en el siglo XX, Barcelone,
Ariel, 1994, p. 122.
17
J. Nadal, « La industria fabril española en 1900. Una aproximación », J. Nadal, A.
Carreras, C. Sudrià (dir.), op.cit., p. 26.
18
C. Enrech, « Hiérarchie de l’usine et qualification dans l’industrie textile catalane du
dernier tiers du XIXè siècle », Histoire et sociétés, 14, 2005.
19
C. Jaeger, Artisanat et capitalisme. L’envers de la roue de l’histoire, Paris, Payot, 1982.
Des utopies conservatrices
consommation et de l’artisanat est freiné par le faible niveau de vie de la
population espagnole. La misère de la population rurale est considérée
comme une cause essentielle des difficultés de l’industrialisation20. Elle
n’est pas propice à l’émergence d’un artisanat important. La diffusion
limitée de l’électricité et de l’automobile, par exemple, n’appelle pas de
nombreux artisans réparateurs21 .
II) Les contradictions de l’action
Ces deux régimes sont créateurs d’institutions artisanales. Vichy crée
le service de l’artisanat et généralise les chambres des métiers. Le crédit
artisanal, un statut et une organisation de l’artisanat sont introduits par le
régime franquiste. Mais cette organisation est guidée par des
conceptions clairement passéistes et rétrogrades. On peut donc
s’interroger sur la capacité de ces régimes à conduire une action
appropriée dans le domaine artisanal.
A) Des organisations différentes
Organisation et tutelle de l’Etat
Un certain flou existe quant à la tutelle ministérielle de l’artisanat
lorsque Pétain et Franco accèdent au pouvoir. En France, il n’existe pas
d’administration spécialisée. Un bureau du ministère du Travail
s’occupe accessoirement de la question. Dans les premiers mois de
Vichy, une lutte d’influence oppose le ministère du Travail, qui se
considère compétent à cause de la charte du Travail, et le ministère de la
Production Industrielle qui entend bien superviser toute la production.
Le problème est résolu avec la création du service de l’artisanat au sein
du ministère de la Production Industrielle. En Espagne, le Travail prend
rapidement l’ascendant sur le Commerce. En conservant seize ans ce
porte-feuille, José Antonio Giron incarne la présence de la Phalange au
gouvernement et la permanence du corporatisme dans la politique
économique espagnole.
20 A.
21
Broder, op. cit., p. 22.
La production d’électricité dépasse tout juste un million de kilowatts en 1930. A.
Broder, op. cit., p. 157.
Cédric Perrin
Cette différence révèle une difficulté plus profonde à penser
ensemble l’industrie et l’artisanat en Espagne. Elle montre aussi
l’importance du corporatisme en Espagne puisque c’est le ministère qui
en est dépositaire (celui qui rédige le fuero del Trabajo) qui s’impose.
En France, le Travail, qui rédige la Charte du Travail, ne contrôle pas
l’artisanat et il est en conflit avec la Production industrielle qui
supervise les CO (Comités d’Organisation) et qui annonce la rédaction
d’une charte de l’artisanat.
Les corporatismes espagnols et français
Le fuero est complété le 27 avril 1939 par la création de la Obra
sindical de artesania, qui est la pierre angulaire de l’organisation de
l’artisanat en Espagne. La Obra est le syndicat unique de l’artisanat. Les
artisans s’insèrent ainsi dans le syndicalisme vertical cher à Franco et
aux phalangistes et défini par le fuero del Trabajo de 1938. Chaque
branche est organisée sur un mode très hiérarchique et quasi militaire.
Le syndicat encadre et représente une source d’autorité à laquelle ses
membres doivent obéissance. Les relations se font toujours du sommet
vers le bas et elles n’existent pas entre branches, entre provinces ni
même entre entreprises du même secteur. La base ne communique
qu’avec sa hiérarchie. A tête de la Obra se trouve une jefatura nacional
de artesania qui rayonne sur l’ensemble des jefaturas provinciales. La
jefatura nacional est dotée d’un secrétariat technique et elle est
subdivisée en trois grandes sections (organisation artisanale, questions
techniques et artistiques, section commerciale). Elle est secondée d’un
Consejo asesor nacional qui a avant tout une mission consultative.
La Obra a de très larges pouvoirs. Ces compétences s’étendent sur la
formation professionnelle, les expositions, les coopératives artisanales,
la protection juridique et sociale des artisans, la défense des intérêts de
l’artisanat ou encore l’attribution de prêts. L’ordre et l’importance
relative de ses missions sont le reflet des conceptions franquistes de
l’artisanat. Dans le domaine de la formation, la Obra gère plusieurs
écoles professionnelles qu’elle a créée mais qui, conformément aux
idées franquistes, ne concernent que les métiers d’art : tapisseries,
dentelles, métaux damasquinés, fer forgé, sculpture du bois... La Obra
finance ces établissements et offre des bourses à certains pensionnaires.
La formation est une préoccupation première du syndicat qui y consacre
des sommes bien supérieures à celles allouées au crédit. Ce contraste
symbolise un régime très attentif à la défense des traditions et beaucoup
moins soucieux de modernisation et d’investissements.
Des utopies conservatrices
La Obra organise des expositions, comme celle de Barcelone, qui
donnent lieu à des concours où des artisans sont primés, et entretient des
lieux d’exposition permanente placés sous l’égide de la Phalange. Les
objets y sont vendus pour le compte des artisans. Le local de Barcelone
impressionne beaucoup ses visiteurs français en 1942 qui y voit un
exemple à suivre. Mais, là aussi, ces dispositifs ne concernent que les
métiers traditionnels. Avec eux, le régime veut inciter les artisans à
préserver une tradition de qualité qu’il croit menacée.
Cette organisation vaut tout un programme. Elle confirme la
propension du régime franquiste à cantonner l’artisanat aux métiers
d’art. L’artisanat est considéré comme le dépositaire d’une tradition
synonyme de qualité. De cette conception découle que si l’artisanat est
menacé ce n’est pas à cause de ses productions mais de problèmes pour
les écouler. Il convient alors de veiller au maintien de ce savoir-faire à
travers la formation, préserver la qualité artistique des produits et
faciliter leur commercialisation par l’organisation d’expositions. Cette
politique entraîne une organisation très centralisée. Toutefois, si le
régime organise ainsi l’artisanat, il ne donne toujours aucune définition
officielle de l’artisan ou de l’entreprise artisanale. Dans cette structure
corporatiste, l’individu (l’artisan) passe au second plan par rapport au
corps social auquel il appartient. Le franquisme voit avant tout
l’artisanat comme une institution dont il convient de restaurer l’autorité
aux fins, plus larges, de préserver l’équilibre social.
Le système français paraît moins univoque et systématique. Une
pluralité de la représentation est maintenue. Les artisans conservent
deux modes de représentation : les chambres de métiers, dont le réseau
est même complété, et les syndicats qui ne sont pas immédiatement
dissous. Le régime y ajoute un organisme : les GAP (Groupements
Artisanaux Professionnels) qui doivent rassembler les artisans dans de
petites structures locales mais dont le réseau demeure très incomplet.
Cette organisation est provisoire, dans l’attente de la charte de
l’artisanat. Toutefois, la rédaction de celle-ci s’éternise et, au final, elle
ne sera jamais appliquée, les décrets n’étant pas prêts. L’artisanat
traverse donc toute la guerre avec une organisation provisoire.
Autre différence notable, les artisans français dépendent des CO de
leur activité et ne sont donc pas à part. Le corporatisme français dilue
l’artisanat, le corporatisme espagnol le singularise. Toutefois, l’artisanat
espagnol n’échappe pas à une certaine dilution puisque sa
singularisation ne vaut que pour ce qui est reconnu artisanal par le
pouvoir. Or, la définition légale est loin de recouvrir tout le champ des
activités artisanales. Ces nombreux artisans-non-artisans se retrouvent
donc dans une situation très similaire aux artisans français.
Cédric Perrin
L’insertion dans les CO devient vite un problème, pour les artisans et
pour le pouvoir. Pour les artisans car, dans la répartition des matières,
les grandes entreprises, qui contrôlent les CO, ne laissent que peu de
ressources aux petites. Les chambres des métiers, confrontées à une
évidente mauvaise volonté des CO, ne parviennent pas à faire entendre
la voix des artisans. Ceux-ci sont contraints de se débrouiller avec des
livraisons minimes de matières. Pour le pouvoir, car ces
dysfonctionnements éloignent les artisans du régime. En 1941, Louis
Bourrière, président de la Chambre des métiers du Lot, rend un rapport
qui met en évidence l’ampleur des difficultés des artisans et la
déception, voire la défiance, que suscite le régime parmi eux. D’autres
invitent les autorités à ne plus se contenter de discours et à agir.
La réponse prend la forme d’une institution nouvelle : les BAM
(Bureaux Artisanaux des Matières) qui doivent s’occuper
spécifiquement de l’approvisionnement des artisans. Mais, en réalité, ils
ne font que se superposer aux précédentes institutions dont ils dépendent
et ils compliquent un peu plus le maquis institutionnel créé par Vichy.
Aussi, les artisans français restent soumis à une sérieuse pénurie de
matières jusqu’à la fin du conflit. Cet échec montre la contradiction d’un
régime dont la propagande accorde une large place à l’artisanat mais
dont la politique économique favorise les grandes entreprises au
détriment des plus petites.
Les artisans espagnols se trouvent pareillement confrontés à un
problème d’approvisionnement et de façon plus durable puisque le
rationnement perdure en Espagne jusqu’en 1952. La réponse franquiste
n’est pas bien connue mais la répartition des matières n’entre pas dans
les attributions de la Obra. Comme les agriculteurs, mieux connus des
historiens, les artisans doivent composer avec l’inefficience du
gouvernement et avec le marché noir22 .
B) Une volonté de contrôle similaire
Au-delà de ces divergences institutionnelles, un même souci
d’encadrement et de contrôle se retrouve en France et en Espagne.
Pierre Loyer, l’autoritaire chef du service de l’artisanat, use d’un ton très
directif envers les chambres de métiers qu’il considère comme des
rouages de la politique artisanale de l’Etat qui doivent donc appliquer
ses directives. Or, ce n’est pas leur vocation initiale. Les chambres de
22
C. Barciela, « Crecimiento y cambio en la agriculture española desde la guerre civil »,
J. Nadal, A. Carreras, C. Sudrià (dir.), op. cit., p. 261.
Des utopies conservatrices
métiers ont été instaurées par la loi Courtier de 1925 pour représenter les
artisans. Mais, Vichy, modifie leur fonctionnement. Jusque-là élus, leurs
membres sont désormais nommés. Les présidents des chambres sont
choisis parmi les sympathisants du pétainisme. Pour autant, les relations
entre les chambres de métiers et le service de l’artisanat ne tardent pas à
se dégrader. Les chambres restent attachées à leur autonomie et, si elles
sont fidèles à l’Etat, elles n’entendent pas devenir de simples relais de
son administration de l’artisanat. Le divorce devient quasiment officiel
lors du congrès de Nice de l’APCM (Assemblée des Présidents des
Chambres des Métiers) en 1942. Les positions prises à cette occasion
valent aux participants un sévère rappel à l’ordre de la part de Pierre
Loyer. Les syndicats d’artisans sont dissous.
Ce dirigisme se retrouve au sujet des coopératives artisanales.
L’attention aux coopératives est présente des deux côtés des Pyrénées,
mais elle procède, là encore, d’un décalage avec la réalité artisanale.
Individualistes, les artisans sont peu enclins à se regrouper ; les
coopératives sont peu nombreuses. Que ces deux régimes leur accordent
autant d’attention est donc significatif. Il existe une volonté manifeste de
favoriser les coopératives car elles deviennent un outil d’encadrement de
l’artisanat23.
En Espagne, le syndicalisme vertical place les coopératives dans
l’orbite de la Obra dont l’une des missions est d’en encourager la
création. En France, le service de l’artisanat met sur pied la SOCDA
(Société Centrale pour le développement de l’Artisanat), qui dépend
directement de lui et qui doit gérer des programmes techniques destinés
aux artisans et chapeauter toutes les coopératives artisanales24 . Il
imagine un système pyramidal où la SOCDA serait en relation avec des
coopératives régionales qui regrouperaient les coopératives locales
auxquelles les artisans sont encouragés à adhérer. La revue du service,
Métiers de France, en fait la propagande en publiant l’état des créations
ou des projets. Par les coopératives, les artisans accéderaient au crédit et
aux matières premières. Le projet ambitionne de contrôler ainsi
l’ensemble de l’artisanat. Le service de l’artisanat, en France, a donc des
intentions hégémoniques très proches de celle de la Obra en Espagne.
Toutefois, l’Etat ne va pas jusqu’à rendre obligatoire l’adhésion aux
coopératives. C’est la grande limite du dessein car les coopératives
restent peu nombreuses et, de plus, la SOCDA n’en contrôle qu’une
petite partie (30% en 1943). Le réseau est très loin de couvrir tous les
23
C. Perrin, « L’instrumentalisation des coopératives artisanales sous Vichy », RECMA,
286, Paris, 2002, p. 71.
24 Arrêté
Bichelonne du 10 janvier 1942. AN F12 11973, Métiers de France.
Cédric Perrin
artisans25. En Espagne, les coopératives restent tout aussi peu
nombreuses26. L’exemple des coopératives artisanales est révélateur des
contradictions entre l’action de l’Etat et la réalité artisanale. Il est aussi
démonstratif d’un dirigisme qui se retrouve, par exemple, dans
l’utilisation du crédit artisanal.
C) L’exemple du crédit artisanal
Le crédit artisanal apparaît comme le parent pauvre de la politique
artisanale franquiste. Instauré en 1943, il peut être vu comme un acquis
du franquisme. Mais, il ne fait que combler un retard de plus de vingt
ans sur la France, la Suisse ou la Belgique. Encore, n’est-il comblé que
très partiellement car ce ne sont que trois artisans qui bénéficient du
système en 1943 (figure 1) et 52 en 1945, soit 0,1% des artisans
reconnus. Les premiers résultats sont donc dérisoires et la dictature n’a
apporté aucune avancée sérieuse. Certes, elle peut se vanter d’avoir
créer une structure qui n’existait pas avant elle, mais celle-ci reste une
coquille vide.
Figure 1 : Nombre annuel de prêts du crédit artisanal en Espagne
(1943-1953)
90
68
45
23
0
!
1943
1944
1945
1946
1947
1948
1949
1950
1951
1952
1953
Source : E. Vessilier, op. cit.
25
Service des Archives Economiques et Financières, B 34143, SOCDA.
26
E. Vessilier, « le crédit artisanal espagnol », dans J. Hamel, L. Buquet (dir.), Le crédit
artisanal en France et à l’étranger , Paris, Sirey, 1958
Des utopies conservatrices
Le franquisme introduit le crédit artisanal en Espagne à un moment
où le gouvernement français vient d’en entreprendre une réforme qui a
pu servir d’exemple. Les motivations pour demander un prêt sont très
proches de la législation française, par exemple27 . En France, la réforme
de 1941 doit débloquer la situation créée par l’absence de décrets
d’application aux lois de 1938 et 1939. Mais, à cette occasion, l’Etat
accroît son contrôle. La loi met en avant le crédit coopératif, elle donne
à l’Etat des moyens supplémentaires de contrôler l’utilisation des fonds
et elle instaure un fonds de garantie. L’Etat veut accroître la rigueur
financière du système et il veut pouvoir l’orienter vers les activités qu’il
entend encourager.
Le crédit artisanal réformé n’est guère plus à la hauteur de la tâche
que son homologue espagnol. Le fonds de garantie ne couvre qu’un
cinquième des prêts cautionnables. Les fonds réservés au crédit collectif
ne sont quasiment pas employés. Le crédit individuel reste très faible.
En 1942, les prêts ne représentent que 12 millions de francs, soit,
rapporté à la totalité des artisans, l’équivalent de 14 francs par
entreprise28 . Paradoxalement, le fonds de dotation reste sous-employé.
Le service de l’artisanat impose des garanties incompatibles avec la
dimension personnelle des prêts aux artisans. Ainsi, Vichy crée un
nouveau blocage au lieu d’améliorer la situation.
En Espagne, des interférences politiques limitent la portée du crédit
artisanal. En effet, alors qu’en France le crédit artisanal est distribué par
les Banques populaires, en Espagne, il relève du pouvoir discrétionnaire
de la Obra. Les prêts sont accordés en priorité sur des critères moraux
ou politiques comme l’appartenance à la Phalange. Or, les plus fortes
concentrations d’artisans se trouvent sur le littoral méditerranéen qui fut
le dernier foyer de résistance au franquisme durant la guerre civile. Ce
critère n’est donc pas de nature à favoriser de nombreux prêts. Cette
utilisation politique du crédit limite sa diffusion. L’efficacité
économique est subordonnée aux objectifs politiques immédiats du
régime.
L’inefficacité provient aussi d’une instrumentalisation du crédit.
Alors que les coopératives ne rencontrent pas un grand succès auprès
des artisans, elles occupent une place de premier plan dans
27
Quatre cas sont reconnus : l’achat d’outillage, celui de terrains ou de bâtiment (en
particulier pour les coopératives d’artisans), l’amélioration de l’atelier ou
l’approvisionnement en matières premières.
28 AN
F12 12004, assemblée de la chambre syndicale des banques populaires (1943).
Cédric Perrin
l’organisation du crédit artisanal en France comme en Espagne. En
Espagne, la loi de 1943 réserve aux coopératives la possibilité
d’acquérir des bâtiments grâce à ces prêts. En outre, une partie des prêts
sert à en fonder. En France, le dispositif concernant les coopératives
précède les prêts individuels et les prêts à long terme ne sont accessibles
qu’aux coopératives.
Dans les deux cas, la modestie des réalisations est en contradiction
flagrante avec l’enflure des discours officiels.
III) Franco après Pétain (1944-1957)
La fin des années 1950 représente un tournant dans la politique
économique du franquisme ; celui du renoncement à l’autarcie et de
l’intégration dans les économies occidentales. Ce changement se fait pas
à pas et il est moins le résultat d’une détermination à changer de
politique que d’un progressif renoncement à l’ancienne et d’un certain
laisser faire29 . La politique artisanale évolue-t-elle de concert ?
A) Garder le cap
Les années qui suivent le conflit mondial confirment plutôt la
politique engagée depuis l’arrivée au pouvoir des nationalistes. Le fuero
del artesania de 1946 en donne la démonstration30. Cette charte ne
comporte rien de véritablement nouveau. Mais, c’est précisément par ce
qu’il n’innove en rien que ce texte est important. Franco réaffirme ainsi
que le corporatisme est toujours à l’ordre du jour. Son régime entend
garder le cap, s’obstine dans une politique qui, ailleurs, a échoué et
s’isole dans l’Europe d’après la guerre.
Plus que jamais l’Etat n’accorde de l’importance à l’artisanat qu’en
tant que gardien de la tradition. Ce fuero limite l’artisanat à une liste de
366 métiers du textile et de la confection, du cuir, du bois, des métaux,
29
J. L. García Delgado, « La industrialización y el desarollo económico de España
durante el franquismo », J. Nadal, A. Carreras, C. Sudrià (dir.), op. cit., p. 172.
30
Décret du ministre du Travail du 10 mai 1946.
Des utopies conservatrices
du verre et de la céramique. Ce parti pris qualitatif se retrouve dans
l’absence de limite quantitative. On est artisan ès qualité. C’est l’activité
qui fait l’artisan, quand bien même celui-ci emploie de nombreux
salariés et ne participe pas personnellement à la production. C’est une
différence majeure avec la France qui considère qu’au-delà de cinq
salariés, l’artisan ne prend plus part aux tâches productives et devient
avant tout un dirigeant.
Selon la définition de 1946, l’Espagne compterait 51 243 ateliers
artisanaux en 1953 qui emploieraient, au total (c’est-à-dire artisans,
compagnons et apprentis compris) 409 944 personnes31 . Chacun de ces
ateliers compterait donc en moyenne 8 personnes ; soit un chiffre très
supérieur au reste de l’Europe, y compris des pays comme l’Allemagne
où la définition est aussi qualitative. L’Etat espagnol reconnaît donc
comme artisanales des entreprises qui ailleurs seraient des PME.
Paradoxalement, bien que grossi de quelques PME, ce nombre
d’ateliers est très largement sous-estimé. Selon cette statistique,
l’Espagne ne compterait qu’un artisan pour 546 habitants, contre un
pour 42 en France32. En appliquant la même proportion qu’en France,
l’Espagne devrait compter 666 620 artisans. La différence vient de
toutes les activités tenues à l’écart du fuero alors qu’elles sont très
importantes, en particulier le bâtiment et l’alimentation. Le régime
franquiste en vient donc à minorer l’artisanat tout en lui donnant un rôle
majeur.
Figure 2 : distribution par secteur de l’artisanat officiel en Espagne
Secteur d’activité
31
Fréquence
Textile
43 %
Cuir
35 %
Bois
10 %
Autres
13 %
Chiffres donnés par la Obra dans une brochure de 1954. Citée par E. Vessilier, op. cit.,
p. 64.
32 A.
Broder, op. cit., p. 172. C. Perrin, Entre glorification et abandon. L’Etat et les
artisans en France (1938-1970), Paris, Comité pour l’histoire économique et
financière de la France, 2007.
Cédric Perrin
B) Le crédit artisanal
Le crédit ne connaît pas davantage d’évolution décisive. Sa
progression est très heurtée (figure 1). La barre des 100 prêts par an
n’est jamais atteinte. En 1947, la meilleure année, on ne compte qu’un
prêt pour 610 artisans (reconnus). La réforme de 1951 paraît bien
nécessaire, mais son premier effet est de faire repartir le crédit artisanal
quasiment de zéro.
Si toutes les entreprises artisanales ont accès à ces prêts, des priorités
sont établies33 . Sont prioritaires les productions d’intérêt national. Or,
pour les franquistes, ce qui fait l’intérêt de l’artisanat, c’est la
préservation des traditions. Ce texte n’est donc pas modernisateur. La
priorité repose ensuite sur des critères qui n’ont rien d’économiques :
s’être vu décerner un prix par la Obra, être membre de la Phalange ou
ancien combattant. Ces critères partisans excluent les artisans
républicains. De même, le décret introduit un critère (la plus grande
honnêteté professionnelle) suffisamment subjectif pour pouvoir justifier
n’importe quel refus. Plus que jamais, la distribution du crédit artisanal
est au pouvoir discrétionnaire de la Obra qui peut s’en servir pour
récompenser les fidèles du régime. Les critères économiques ne sont pas
absents. Mais, d’une part, il faut apporter une garantie couvrant cinq fois
la valeur du prêt demandé ! Et, d’autre part, ce sont des prêts à court
terme (3 ans) plafonnés. Ces petits prêts sont inadaptés aux besoins
d’équipement et d’investissement. L’efficacité économique du dispositif
est donc des plus discutable.
Le crédit artisanal espagnol prête peu, de faibles sommes et pour peu
de temps. Pourtant, la Obra dispose de moyens. Les prix attribués lors
des expositions atteignent 10 millions de pesetas pour la seule année
1954. Le budget de la formation est de 6,5 millions de pesetas en 1947 ;
plus que l’ensemble des prêts artisanaux pour la période 1943-1953. De
toute évidence la faiblesse des prêts n’est pas due à un problème de
budget. Le crédit artisanal, et les enjeux de financement et de
modernisation des entreprises artisanales ne sont tout simplement pas
une priorité du gouvernement franquiste.
33
Décret du 25 février 1951, articles 42 à 67.
Des utopies conservatrices
C) La Obra
D’autres indices témoignent de la permanence du corporatisme.
L’emprise de la Obra est renforcée. La carte d’artisan créée par le fuero
de artesania est octroyée par le syndicat. Pour la recevoir, il faut exercer
l’un des 366 métiers du décret. Elle est obligatoire pour accéder aux
aides du gouvernement et du syndicat. En somme, pour recevoir un prêt,
il faut faire partie du syndicat. L’emprise du syndicat unique est aussi
resserrée spatialement. Son organisation est complétée en 1951 par la
création d’un consejo asesor provincial dans chaque province.
La Obra poursuit la même politique. L’analyse du crédit montre
qu’elle consacre toujours l’essentiel de ses moyens à ses écoles et aux
concours. Ses écoles sont très fortement concentrées dans l’espace. Elles
se trouvent essentiellement en Andalousie, au Pays Basque et en
Asturies. A lui seul, le Pays Basque en abrite plus de la moitié. De
vastes espaces en sont donc dépourvus, en particulier la Catalogne et le
Levant, dernières conquises par les nationalistes durant la guerre civile.
A l’inverse les régions choisies, notamment l’Andalousie occidentale, se
sont précocement ralliées. Le choix d’implantation paraît donc
éminemment politique. Il récompense les fidèles de la première heure et
met à l’écart les plus rebelles. Cette politique n’a rien d’étonnant de la
part d’un Franco à la rancune tenace envers ses adversaires de la guerre
civile34 .
Figure 3 : les écoles de la Obra en 1954
34
B. Bennassar, Franco , op. cit.
Cédric Perrin
!
Le franquisme paraît souvent plus radical que le pétainisme. Mais, le
contexte diffère. Le franquisme trouve un terrain vierge en matière
d’organisation de l’artisanat. Vichy ne fait que parachever des
institutions antérieures. Cette raison explique aussi un corporatisme plus
strict en Espagne qu’en France. Mais, au-delà des institutions, une
même volonté de mise au pas de l’artisanat guide les politiques
françaises et espagnoles. Les gouvernements de Pétain et Franco se
rapprochent aussi par la même difficulté à dépasser l’affichage de la
propagande pour mener une véritable politique en faveur de l’artisanat.
Leurs conceptions rétrogrades ne les prédisposent pas à appréhender
correctement les réalités de l’économie artisanale et ses besoins. Au
final, le franquisme et le pétainisme apparaissent comme des utopies
conservatrices, mythifiant l’artisanat mais incapable d’agir efficacement
en sa faveur.